Le marcheur suivait le lit d'une rivière à sec depuis une heure. La chaleur y était pesante, la marche rendue délicate par les éboulis et les pierres instables. Il avait hésité à prendre ce raccourci mais cela lui permettait de gagner deux heures sur son itinéraire. Il grimpa une dernière côte sur laquelle serpentait un chemin tracé par les mules et les ânes et s’arrêta pour contempler la vue qui lui était offerte : une infinité ocre, un plateau magnifique avec au fond, la barrière himalayenne, un cirque immense, époustouflant, et au loin des chevaux en liberté, et un homme, seules présences vivantes dans ce désert minéral. Le marcheur reprit sa route et insensiblement se rapprocha du nomade assis. Passant près de lui, il lui sourit. Le nomade lui rendit son sourire et lui fit signe de s'asseoir à côté de lui.Le marcheur tenta de lui parler en Anglais. Le nomade lui répondit. Et la conversation commença ;
- D'où venez-vous ?
- De France en Europe, répondit le marcheur
- Ah ! La France ! Paris ! J'aimerais tant y aller un jour.
- Et vous ? D'où venez-vous ?
- Moi, je suis d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui... sourit le nomade
- Je peux me permettre une question ? se risqua le marcheur,
Le nomade était en train de lui servir du thé, sans qu'il lui ait demandé quoique ce soit.
- Bien sûr, lui répondit le nomade, qui se concentrait sur son service.
- Qu'est-ce qui vous différencie de quelqu'un qui reste toujours à la même place et qu'est-ce qui vous permet de le faire avec autant de facilité ?
- Ça fait deux questions, ça ! Mais je veux bien y répondre. Alors, je vais commencer par la deuxième ; mes réponses devraient répondre à la première.
L'espace est le temps du nomade
Nous raisonnons d'abord en temps. L'espace est accessoire, consécutif. Le nomade "déspatialise" sa représentation du monde. L'important pour lui n'est pas le partage de l'espace mais la place du temps. Il temporalise son existence. Et l'espace devient le temps. "Combien de temps avant d'arriver ?" et non "Combien de kilomètres avant d'arriver ?" Du coup, l'espace ne nous appartient pas. Nous le partageons sans difficulté.
Partager et rester libre
Partager l'espace pour s’arrêter, partager notre nourriture pour vivre, nos couverture pour contrer le froid, je crois que cela reste quelque chose qui nous unit. Mais dès lors que le partage est permis, les règles communes se doivent d'être respectées. Et ces règles nous servent à rester libres. La liberté s'arrête là où commence celle des autres...
Rester léger et rechercher le climat favorable
-Un nomade ne peut pas s'alourdir. Il doit marcher léger pour marcher longtemps. Il doit donc faire des choix pour sa journée, son prochain voyage, sa vie. Décider de ce qui lui est indispensable est vital pour lui.
Le marcheur pensa en même temps que s'alléger, c'est aussi se délester de ce qui ne nous appartient pas, les croyances limitantes, les vieux démons, les héritages toxiques.
-Savoir marcher avec ce qui nous est propre, c'est marcher plus facilement. Faire des choix, c'est aussi faire des choix d'itinéraires. Aller là où le climat nous est plus favorable permet de marcher plus longtemps et plus facilement. Choisir un chemin difficile peut nous apprendre, nous faire vivre une expérience, bien sûr. Mais si nous avons le choix, nous suivons le climat et les conditions les plus favorables. Nous n'irions pas faire brouter nos chevaux dans des contrées où l'herbe est rare et difficile d'accès. Entre deux chemins, choisis celui qui te parait le plus clair.
S'isoler pour mieux se retrouver
Pour vivre bien ce mode de vie, tu dois faire face à la solitude. Vois ce plateau comme il est désert. Qui cherche le contact avec l'autre ne doit pas être nomade. Cette solitude permet de se retrouver soi-même, face aux éléments, en contact avec la nature, proche de ses racines et en lien avec ce qu'il doit faire ici, sur cette Terre. Le "bruit" des autres peut nous éloigner de notre chemin. Avancer est un acte solitaire, en conscience de notre appartenance au Monde et de ce que nous sommes venus y faire. S'isoler pour mieux se retrouver est donc une capacité que nous avons su développer.
Savoir rester sur ses gardes
Garder un œil neuf sur ce qui nous entoure, savoir voir l'opportunité qui passe à notre portée, rester attentif des dangers potentiels, voilà trois recettes qui vont te servir à te sauvegarder et à prendre les bonnes décisions. Sincère sans être naïf, étonné sans être crédule, attentif sans être apeuré.
Être humble, solidaire et simple
-Nous sommes tout petits et devant cette immensité, nous devons rester humbles : la nature, lorsqu’elle commande, nous rappelle que nous ne sommes pas grand chose. Nomade et donneur de leçon ne font pas bon ménage. D'ailleurs, tout ce que je te dis là n'est que ce que j'ai appris. Ne le prends ni comme un conseil ni comme une vérité ; seulement des réflexions d'homme. Un nomade est souvent seul pour passer les épreuves : aussi il se doit de rester solidaire avec ceux qui partagent ses moments de vie. Et puis, penser simple et faire simple permet de s'éviter bien des déboires. Simplifier, réduire, soustraire plutôt qu'ajouter, multiplier, complexifier.
Cela rappelait au marcheur un parallèle avec la culture japonaise qui n'est faite que de réductions : en cuisine, l'umami permet de ressentir l'essence même d'un aliment, en musique, un son permet d'entendre le silence, en peinture, un trait noir permet de voir le vide.
Aller lentement
-Le temps du nomade est rythmé par les saisons et les saisons sont lentes. Aller vite ne sert à rien : tu ne feras pas finir l'hiver plus vite si tu marches plus vite. La marche est un rythme lent et régulier qui permet de t'économiser, de marcher loin et longtemps. La lenteur, c'est aussi la lenteur du regard, la lenteur des gestes, la lenteur de la pensée aussi : la lenteur qui peut paraitre parfois éprouvante pour toi qui vis dans un monde où le temps te manque tout le temps. Essaie de ralentir et sens la différence.
La mort est une nouvelle naissance
- Enfin, vivre en nomade c'est vivre le mouvement permanent. Terminer quelque chose, c'est en recommencer une nouvelle, changer de voie c'est en choisir une autre plus qu'en abandonner une, mourir c'est re-vivre. Vivre dans cette perpétuelle impermanence nous oblige à rester en éveil de ce qui nous entoure, à lâcher-prise sur ce qui ne dépend pas de nous, plus conscients de Qui nous sommes et du chemin que nous empruntons.
-La chenille ne sait pas que sa mort, c'est aussi la naissance du papillon, dit le marcheur au nomade.
- Belle métaphore, en effet.
-Merci beaucoup de tout ce que tu m'as appris. Et moi, que puis-je faire pour toi ? demanda le marcheur
- Le plus beau cadeau que tu puisses me faire c'est de vivre en conscience de tout ça et de contribuer à le faire savoir. J'en serais humblement très honoré.
Le marcheur se leva, serra chaleureusement la main du nomade et continua sa route avec dans son sac les neuf résolutions nomades, déroutantes, solides et si profondément inspirantes.
De très belles et imagés réflexions ! Elles me parlent beaucoup ces jours-ci...
RépondreSupprimerSincèrement, merci.
Merci et tant mieux :-)
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