dimanche 27 novembre 2011

Le cèdre et le plan de tomates ou comment changer de point de vue


Tous les matins, cet homme ouvrait les volets de sa chambre qui donnait sur son jardin. Il prenait un grand bol d’air en s’étirant. Aujourd’hui, ce sera une journée pas facile. Il doit se présenter au tribunal pour se défendre contre une plainte que son voisin a déposé contre lui. Quel imbécile celui-là ! Déposer une plainte parce que le cèdre du Liban centenaire qui orne le fond de son jardin, fait soi-disant de l’ombre à son potager. Aucune tomate ne peut pousser. Il n’a qu’à faire pousser des pommes de terre, comme ça, il n’aura pas de problème d’ensoleillement ! Il sourit mais il savait bien qu’il ne pouvait pas avancer de telles solutions devant un tribunal ! Il préparait sa défense en regardant son arbre. Magnifique, majestueux, sans ce cèdre, son jardin et sa maison perdraient de la valeur, valeur pas seulement esthétique mais financière. Par ailleurs, les racines de cet arbre plongent très profondément en terre : le couper ou l’arracher pourrait porter préjudice au reste des plantations et constructions à proximité. Couper une partie des branches qui faisait de l’ombre aux tomates fragiliserait l’arbre à coup sûr ! Non, le seul moyen était que le voisin change l’emplacement de son potager !
A cet instant, la sonnette de l’entrée retentit ! L’homme mit son peignoir rapidement et descendit ouvrir. Le facteur lui présentait une lettre recommandée. « Bonjour Monsieur ! Voulez-vous bien signer là s’il vous plait ? ». Il s’exécuta sans regarder. Il n’était pas encore tout à fait réveillé. Il ferma la porte en remerciant le facteur. Il ouvrit la lettre et découvrit une lettre à  entête d’un laboratoire médical. Il ne comprenait pas : il n’avait pas fait faire récemment d’analyse médicale. Il lit les conclusions de l’analyse « Taux anormalement élevé de … » Il ne comprenait pas la signification de la conclusion. Il retourna la lettre et s’aperçut qu’elle était destinée à son voisin ! Le facteur avait fait une erreur. Il referma l’enveloppe et la porta à son voisin. Un peu bourru, il dit à son voisin qui venait d’ouvrir sa porte : « Tenez ! C’est pour vous ! Le facteur s’est trompé ! ». Le voisin ouvrit l’enveloppe, lut la lettre du laboratoire, jusqu’au bout et la replia avec un air de découragement évident. « Qu’y a-t-il ? » demanda l’homme à son voisin. « Oh ! C’est ma femme ! Ça confirme ce qu’on pensait ! Elle est condamnée ! ». « Ah bon ? » dit l’homme incrédule. « Oui » répondit le voisin « Elle n’en a que pour quelques mois ! Mais, bon, ça ne vous intéresse évidemment pas ! On se retrouve au tribunal tout à l’heure ? Je ne sais pas si j’aurais la force de dire que ça m’aurait fait plaisir d’offrir à ma femme encore des tomates de notre potager avant qu’elle ne parte ! ». Et il referma la porte avec rage ! L’homme retourna chez lui, lentement. Il appela son avocat pour lui dire qu’il abandonnait la défense : il couperait son cèdre centenaire comme le voisin le demandait !

Cet arbre vu de cette perspective présente assurément un aspect très différent de ce que vous imaginiez. Cet arbre, c’est peut-être votre mauvaise habitude de manger gras, votre manière de gérer les conflits en claquant la porte ou en fuyant, votre addiction à l’alcool ou à la drogue ? Et peut-être, si vous changez de point de vue,  verrez-vous alors les choses sous un autre jour ?

Quatre critères permettent une prise de conscience qu’un changement est nécessaire : 
  • Le dysfonctionnement présent  : concrètement, nous devons observer des résultats non conformes à ce que nous avions prévus, imaginés ou à ce que le système dicte lui-même. « Je n’avais pas imaginé ça !  
  • La fin prévisible si cela continue. « Si je n’arrête pas, voilà ce qui risque d’arriver »
  •  La souffrance de l’autre (ou des autres). « Voilà les conséquences sur les autres !»
  •  Notre propre souffrance  « Voilà les conséquences sur moi ! »

Vous pouvez appliquer ces règles à tout changement. Si vous ne répondez pas oui à ces quatre questions, vous pouvez être sûr que votre prise de conscience de la nécessité du changement n’est pas complète.

  1. Le présent présente-t-il plus d’inconvénients que d’avantages ?
  2. En cas d’immobilisme, le futur est-il prévisible et désastreux ?
  3. Les autres pâtissent-ils de cette situation ?
  4. Et moi, est-ce que je pâtis de cette situation ?

Extrait du livre "Auto-coaching efficace" ©Éditions de l'homme 2011

dimanche 6 novembre 2011

Histoires de passeurs

Gilles accompagne depuis longtemps de nombreux agriculteurs en difficulté (1). Il est à leur écoute, il dit lui-même qu'il les "accompagne", il comprend bien leurs difficultés parce qu'il est lui-même un ancien paysan. Fondateur de Solidarité paysanne, Gilles permet à ces entrepreneurs d'un autre temps baigné dans un univers qui leur est étranger de passer ces moments difficiles par sa proximité, son aide concrète dans le montage et la défense des dossiers, mais aussi par son énergie et sa neutralité bienveillante. Il soutient, il conseille, il épaule quand il le faut. Il est un passeur de mémoires, un passeur de changements, un passeur de bouleversements profonds.

Lucie (2) a fondé son entreprise. Elle  permet aux personnes en soin palliatifs, en fin de vie ou en traitement dans les services d'oncologie de pratiquer de l'exercice physique. Elle vit au quotidien avec ces patients pour les aider à passer ces accidents de la vie -de la mort- plus facilement. Cela lui demande un tel recul, une telle hauteur que quand on lui parle, on en a parfois le vertige. Elle a une manière très particulière de montrer à tous que tout ça, c'est normal, que tout ça c'est la vie. Et qu'il faut bien "faire le boulot". Lucie est une passeuse, au même titre que Gilles. Elle offre à ces hommes et ces femmes en extrême détresse, son soutien,sa détermination et sa profonde humanité. 

Passeurs d'espoir (3) : c'est l'histoire d'une famille qui s'est fixée un objectif impossible. Dans le Rwanda blessé d'aujourd'hui, aider à  la réconciliation entre Utu, Tutsi et Twa . Un trio composé de trois hommes de chaque ethnie va les aider à débuter cette tâche immense. Comme Gilles et Lucie, ils sont passeurs d'espoir, passeurs de mémoire, passeurs d'histoire aussi ; ils aident à faire le deuil de ce million de personnes décédées, ils poussent à accepter la réalité sans jugement, ils entrainent à  se reconstruire une nouvelle identité capable de vivre dignement quelle que soit le camp auquel on appartient.

A bien y réfléchir, le métier de coach est bien celui de passeur : énergie, soutien, écoute, humanité, conseil parfois,neutralité bienveillante toujours.
Je proposerais bien à nos amis francophones que le terme Coach soit traduit par celui de Passeur, et le terme Coaching par celui de Passage.


(1)" Hommes debout"- 13h15 le Samedi- France2- 5 nov 2011- http://ow.ly/7klzV
(2) Le prénom de Lucie a été changé pour protéger son anonymat
(3) Passeurs d'espoir http://ow.ly/7klVY

mardi 1 novembre 2011

La jument et la horde - Partage et liberté : une leçon de sagesse de nomade sédentarisée.


Le marcheur traversait une forêt de feuillus. Il adorait ces endroits si calmes, si frais, si odorants. Les bruissements des habitants de la forêt dans les feuilles mortes emplissaient l’espace, les rayons du soleil perçant les feuillages offraient des spectacles dignes des plus grands shows laser, l’immensité des arbres forçait l’humilité et le respect, les cris des oiseaux rebondissaient en écho sur les écorces de ces grands sages pour mieux s’amplifier puis disparaitre.  Il avait pour habitude de ralentir son pas lors de ces traversées pour faire le plein de sensations. A la sortie de la forêt, il s’aperçut qu’il y avait passé beaucoup plus de temps que prévu : le soleil commençait à décliner pour émettre sa lumière rasante de fin de journée sur les champs de colza et de blé qui s’étendaient loin devant lui.

Un hennissement sur sa droite le fit sursauter. Une harde d’une dizaine de chevaux broutait paisiblement dans une clairière bordant la forêt. Ces animaux magnifiques avaient toujours représenté pour le marcheur à la fois la beauté, l’illustration de la vie en groupe et de la dominance de l’homme sur la nature- les chevaux sauvages ont aujourd’hui pratiquement disparu de la planète. C’est une sorte de danse entre deux chevaux qui attisa sa curiosité.
Un jeune mâle semblait rester en dehors du territoire occupé par les autres qui broutaient tranquillement : il restait en alerte, oreilles dressées, muscles bandés, regard fuyant. A quelques foulées de lui, une jument plus âgée, le regardait fixement, puis avançait vers lui comme pour l’attaquer, baissant la tête et la relevant, naseaux au vent, frappant son sabot sur le sol. Le jeune mâle, effrayé faisait marche arrière, ébrouant sa crinière et balançant dans les raies du soleil rasant des myriades de poussières luminescentes. La jument s’arrêtait alors, se retournait et se remettait à brouter. Le jeune mâle soufflait, s’arrêtait, et revenait doucement vers le cercle formé par la harde. La jument relevait la tête aussitôt, se retournait et la danse recommençait. Elle avançait menaçante et le jeune mâle reculait à nouveau. Et puis, quelque chose se passa que le marcheur ne comprit pas.  Le jeune mâle s’avança encore, comme les autres fois, et cette fois, la jument, au lieu de chasser encore le jeune cheval qui semblait être pour elle un intrus, se retourna, lui montrant sa croupe, tourna sa tête vers lui, puis retournant encore sa tête vers l’avant lui fit signe de venir. Le jeune mâle frémit, se risqua à avancer encore, et ne voyant pas de réactions menaçantes de la jument, s’avança vers le cercle, accueilli par la jument par un frottement de tête : il se mit alors à se mêler aux autres chevaux de la harde, sentant et se frottant à chacun d’entre eux comme pour se présenter et puis, il se mit à brouter l’herbe grasse de la clairière. La harde comptait un membre supplémentaire.
Le marcheur restait pensif : il savait qu’il avait quelque chose à apprendre de ce qu’il venait de voir.
Il était en train de reprendre son chemin quand la jument vint vers lui. Il s’arrêta pour regarder ce  magnifique animal qui s’approchait doucement de la barrière qui le séparait d’elle. Ses muscles noueux se tendaient sous son poil luisant, une puissance certaine se dégageait d’elle. Il fouilla alors dans son sac pour trouver un fruit ou un quignon de pain qui pouvait lui rester. Il trouva dans le fond d’une poche une pomme qu’il  trouvait trop acide pour lui. Il tendit la main au-dessus de la clôture pour offrir le fruit à la jument qui s’approcha en baissant la tête en signe de contentement. Elle enfourna la pomme avec gourmandise et la croqua avec grand bruit.
-         Merci
Ca y est, se dit le marcheur, voilà que ça recommence. Il prit sa gourde dans son sac et but un grand trait d’eau.
-         Merci, répéta la jument, votre pomme était bien bonne
Le marcheur tourna le dos à la jument réellement inquiet. C’était peut-être un effet de réverbération ? Il avait beau écarquiller les yeux, il n’y avait personne d’autre que lui et les chevaux dans ce bel endroit. Il se retourna, encore dubitatif et se risqua à répondre.
-         De rien. De toutes manières, cette pomme était en train de pourrir au fond de mon sac.
Conscient qu’il venait de faire une bourde, il se reprit
-         Excusez-moi, ce n’est pas ce que je voulais dire… Je suis content si mon petit cadeau vous a fait plaisir. J’étais sûr que cette pomme pourrait faire plaisir à quelqu’un. Je la trouvais personnellement trop acide pour moi mais je me disais que bien cuite elle pourrait faire une bonne compote. Je savais pertinemment que cela nécessiterait d’adoucir un peu la cuisson avec du sucre ou d’autres pommes moins acides, mais j’étais ….

Le marcheur s’interrompit. Il se dit que parler cuisine avec un cheval devait représenter devant les tribunaux comme une preuve de délire compulsif obsessionnel.
-         Je ne comprends pas tout ce que vous me dites, dit la jument. Qu’est ce que vous appelez « compote » ?
Et voilà le marcheur parti dans une explication de la recette de la compote à un cheval qui l’écoutait, ma foi, attentivement. Certains autres de ses congénères venaient de temps en temps tendre l’oreille pour voir de quoi ces deux-là étaient en train de parler. Arrivé au moment crucial de l’ajout du jus de citron avant la mise au frais du précieux met, le marcheur qui s’était un peu emporté se calma et reprenant ses esprits dit à son interlocutrice ;
-         Bien... J’ai été heureux de partager cette recette avec vous. Je vais vous souhaiter une bonne fin de journée ?
-         Dites-moi.  Je vous ai vu nous observer longuement tout à l’heure. Pour quelle raison ?
-         C’est vrai, répondit le marcheur un peu surpris. Je vous observais parce je ne comprenais pas ce que vous faisiez avec le jeune mâle qui tentait de se joindre à vous. Cela ressemblait à un ballet, une sorte de danse initiatique, je me trompe ?
-         Cela n’a rien à voir avec une danse, mais si vous avez trouvé cela artistique, tant mieux. Initiation serait plus proche de ce que nous avons accompli.
-         Dites-m’en plus. Vous aviez l’air de le repousser puis  vous lui avez envoyé le signe qu’il pouvait venir. Pourquoi ?
-         Il s’agit d’un rituel. Nous testons la capacité de résistance des nouveaux venus. Comme ça, on, sait s’ils veulent vraiment rester avec nous. Il y a plein de jeunes mustangs qui passent et qui veulent juste profiter de notre protection pour manger ou pour de petits plaisirs charnels. Ceux qui résistent à mes  petites menaces savent qu’ils doivent respecter un certain nombre de règles et la première, c’est le respect des anciens. Il ya donc une intention réellement positive dans ce que je fais. Parfois, une attitude qui parait agressive cherche en fait un résultat positif.
-         Je vais retenir ce que tu viens de dire. Vraiment. Cela laisse des champs de réflexion pour beaucoup de comportements qu’il est difficile de comprendre. L’agressivité, les addictions ou le suicide sont difficilement compréhensible par la plupart d’entre nous : les regarder comme des résultats d’intentions positives à leur racine change complètement la donne. La volonté de se protéger pour l’agressivité, la recherche de plaisir pour les addictions, le désir d’être entendu pour le suicide sont autant de pistes de réflexion pour aider celui qui ne trouve que cette solution à mieux en comprendre l’origine et, du coup, à trouver d’autres issues plus « écologiques » pour lui et pour son environnement.

Il poursuivit sans attendre les questions du cheval.

-           Mais, ces nouveaux chevaux qui viennent ne sont pas sauvages ? Ils sont amenés par qui ?
-         Par ceux qui s’occupent de nous.  
-         Ah ? Et qui s’occupe de vous ?
-         Des hommes, comme vous. Bien sûr,  nous savons que nous devrons accepter le nouveau venu, mais nous devons aussi lui indiquer ce qu’il doit respecter et qui il doit respecter. Même si nous savons ce rituel ancien et peut-être un peu dépassé, nous le perpétuons pour garantir l’intégration.
-         Vous restez toujours ici, dans cette clairière ? 
-         Les hommes qui s’occupent de nous veillent à la qualité de notre nourriture. Alors, quand l’herbe devient plus rare, ils nous emmènent vers des terres où elle est plus grasse.
-         J’ai une question un peu plus intime. Je vous laisse la liberté de me répondre ou pas.
-         Allez-y, fit la jument en pointant ses belles oreilles.
-         Vous personnifiez pour moi l’évolution de ce monde.
-         Et bien, dites-moi… quel honneur ! Pourquoi dites-vous cela ?
-         Votre espèce a toujours accompagné l’espèce humaine pour l’aider à porter, cultiver, voyager.  Espèce domestiquée et encore sauvage, vous  avez traversé les âges et semblez avoir conservé les rituels de vos origines nomades et en même temps vous vous adaptez très bien à votre existence sédentaire. Comment faites-vous ?

La jument prit le temps de brouter une motte d’herbe avant de lui répondre.

-          Eh bien je crois que nous nous sentons libres malgré les barricades, malgré les clôtures, malgré les contraintes. Libres entre barbelés, ça peut paraitre contradictoire, évidemment. Mais je vous assure que sans limite, la liberté n’existe pas. Très vite, l’absolue liberté entraine vers la solitude. Beaucoup de mustangs de notre espèce finissent seuls, libres mais seuls. Pourquoi sommes-nous ici sur Terre pensez-vous ? Pour finir seul dans la steppe ? Je ne crois pas pour ma part.
-         C’est pourquoi  vous laissez immédiatement le nouveau venu partager l’herbe ? Pour lui dire « Tu fais partie de notre horde. Tu ne finiras pas seul » ?
-         Bien sûr. Le partage et la liberté dans un cadre défini permettent une intégration durable. Celui-là, fit la jument en  montrant au marcheur le jeune mâle d’un coup de tête, doit le comprendre pour bien vivre ici.

Le marcheur avec une pensée émue pour les anarchistes, passés, présents et futurs, trouvait vraiment cette jument incroyable. Elle le surprenait tellement par sa maturité, un peu comme l’araignée… Il allait falloir qu’il revoie son point de vue sur l’évolution des espèces et sur l’éthologie.

Il resterait bien là à discuter avec elle mais il sentait bien que ce moment lui était donné comme un cadeau, comme un présent, comme une glace : au fur et à mesure qu’il la dégustait, elle fondait entre ses doigts.  Il devait reprendre le chemin. Il ne savait pas trop comment remercier la jument de cet échange. Alors, il se souvint qu’il avait dans son sac un paquet de ses biscuits préférés. Il plongea à sa recherche et en ressortit plusieurs. Il les plaçât dans sa paume  et tendit le bras à la jument. Celle-ci hennit et toute la horde vint vers la clôture où il se tenait. Le marcheur comprit. Il prit le paquet dans son sac et tendit à tour de rôle un biscuit à chacun des chevaux qui se présentait à lui.
Partage et liberté avait dit la jument.
Sans un mot de plus, il lui fit un signe de la main, remit son sac d’un coup d’épaule et tourna les épaules. Il entendit la jument la saluer avec un soufflement savoureux.