dimanche 3 mars 2019

"Sagesses nomades" Extrait : le pinson



A ce moment, le voyageur entendit un bruit aux carreaux de sa fenêtre. Il se tourna et vit un oiseau qui le regardait avec ses yeux ronds. Il se leva doucement et ouvrit la fenêtre. 
- Bonjour bel oiseau. Tu ne serais pas un pinson ?
- Bonjour. Oui. Je suis effectivement un pinson. Vous êtes connaisseur ?
- Non, pas particulièrement. Mais, souvent les petits oiseaux des arbres de nos jardins sont des pinsons. Alors, je n’ai pas beaucoup de mérite. Pourquoi avez-vous cogné à mes carreaux ?
- Je le fais souvent. J’ai parfois la chance de tomber sur quelqu’un qui me laisse quelques miettes de pain ou d’autres choses.
- Oh ? Ne bougez pas. Je dois avoir quelques biscuits dans mon sac.
Le voyageur fouina dans les poches de son sac à dos et y dénicha un paquet de galettes.  Il en prit une et l’émietta sur la fenêtre.
- Merci, fit l’oiseau, après avoir prélevé une partie des miettes offertes par le voyageur.  C’est très bon.
- Vous avez l’air guilleret. Vous êtes tout le temps comme ça ?
- Je sais que, vous, les hommes disent « gai comme un pinson ». Il doit y avoir une raison ?!
- Vous avez un chant tellement joyeux.
- Merci. C’est gentil.
- Je sais que les chants des pinsons se ressemblent lorsqu’ils appartiennent au même territoire.
- Oui. C’est pour reconnaître d’éventuels intrus qui viendraient d’ailleurs.
- Ah ! Et vous ? Vous est-il arrivé de changer de territoire ?
- Oui. C’est très amusant. Lorsque là où nous vivons présente moins d’intérêt, nous cherchons d’autres endroits où la vie est plus agréable. C’est très grisant. D’ailleurs. Je songeais à changer de territoire. Cette maison et son jardin sont très agréables mais j’ai envie d’en trouver une autre.
- Ah oui ? Et bien écoutez ! Je vais partir demain matin. Voudriez-vous m’accompagner ? fit le voyageur enthousiaste.
- Pourquoi pas. Où allez-vous ?
- Je rentre chez moi mais il me reste encore quelques jours de marche dans la vallée avant de rejoindre une ville où je pourrai reprendre un train.
- D’accord. Je vous suivrai demain.
- Parfait. Je dois redescendre maintenant. Ravi d’avoir fait votre connaissance. On se retrouve demain matin alors ?
- Avec plaisir ! fit l’oiseau avant de prendre son envol.

Du perron sur lequel était niché l’abri où il avait passé deux nuits, le voyageur contemplait le chemin qu'il avait décidé d’emprunter. Il descendait doucement vers une belle forêt. Il prit son temps pour profiter pleinement de sa promenade en levant les yeux vers le faîtage des grands arbres qui l’entouraient. A tout moment, il s’attendait à voir surgir une fée magnifique sur sa blanche licorne. Les bruissements des insectes sous les feuilles mortes, les oiseaux fuyant son passage en produisant des concerts de percussion dans les arbres, les résonances d’eaux tourbillonnantes sous les racines noueuses des chênes centenaires, toute cette symphonie l’emmenait, l’entrainait, le menait vers cet endroit bizarre où le temps et l’espace ne sont plus que des impressions présentes, la réalité, un flou enchainé, le futur, une hypothèse. Il savait qu’il arrivait au bout de son périple et se remémorait ses rencontres.
Elles étaient tellement incroyables, tellement improbables, tellement imprévisibles, qu’il aurait surement du mal à en parler, au risque d’être pris pour un doux dingue sorti de son nuage. Elles étaient aussi tellement sensées, tellement cohérentes, tellement simples qu’il se disait qu’elles étaient comme un message à transmettre.

L’araignée avait bousculé d’entrée les notions du temps et de l’espace qu’un nomade pouvait avoir. Il voyait dans cet insecte un modèle d’immobilisme, centré d’abord sur son seul espace vital. Et cela préfigurait ce qu’il allait découvrir avec l’escargot : la perception de l’ampleur de l’espace est primordiale dans l’idée que l’on se fait de la sédentarité ou de la mobilité. Le nomadisme se fait à la mesure de ce que l’on connaît. En tous cas, il commence par cela, quitte à élargir son univers petit à petit.

La jument l’avait touché par sa capacité à accepter son statut de « prisonnière libre ». Elle se disait heureuse et épanouie dans un cadre limité par les fils électriques de son champ. Elle lui avait même dit qu’ils avaient créé d’autres règles pour garantir cette liberté : le partage de la nourriture était à la fois un signe de bienvenue et un rituel obligatoire. 

Les cigognes, avec leur bonne humeur, l’avait bousculé profondément sur la manière de conduire sa propre vie : rester léger, choisir le chemin le plus favorable et faire du nomadisme un jeu pour abaisser la pression des enjeux qu’il peut provoquer. Savoir s’alléger aussi des vieux démons. Savoir se préparer en ne gardant que l’essentiel pour ne pas risquer de trainer des poids inutiles. Au lieu de s’entêter à rester sur un chemin compliqué, semé d’embûches, et qui ne correspond pas à ce que l’on souhaite, il est préférable de changer de voie pour chercher un environnement plus favorable, plus simple, plus facile et plus en correspondance avec ce que nous sommes capables ou ce que nous souhaitons expérimenter. Les voies compliquées sont rarement les bonnes. La simplicité reste souvent l’apanage des choix judicieux.

Le héron l’avait frappé par sa capacité à rester seul. Et la solitude faisait aussi partie de cette évolution. Le changement, parce qu’il est difficile, devait se vivre seul à un moment donné, pensait le voyageur. Le nomade en permanence confronté à la solitude dans ses difficultés, et ce, même entouré, devait développer des capacités à affronter cette absence pour générer une force solitaire, un courage individuel, une détermination unique pour surpasser les obstacles.

Le moustique blagueur lui avait appris que l’intuition et l’alerte permanente sont le lot des individus en dehors de leur environnement habituel. La méconnaissance d’un nouvel espace demande à rester en éveil, à sortir ses capteurs, à « voir » tout ce qui nous entoure. Dans le mouvement, rien n’est stable, tout bouge. Tout change, rien n’est acquis, rien n’est prévisible. Dans le changement, l’angélisme n’est pas de mise. La règle c’est le « ressort », l’exception, c’est la « roue libre ».

L’escargot, symbole même de la lenteur, lui avait permis de prendre conscience des différences de dimensions spatio-temporelles : un millimètre pour l’un, c’est un mètre pour l’autre, une seconde pour l’un, c’est une année pour l’autre. La lenteur n’était alors que perception, relativité, énergie. Lorsqu’il marchait, le voyageur ralentissait son rythme : il y voyait un intérêt primordial ; voir, sentir, percevoir, entendre ce qu’il ne voyait pas d’habitude. Il lui semblait qu’en réduisant sa vitesse, il décompressait l’espace en même temps que le temps. Et cela produisait des effets de bien-être pour soi et d’attention au monde qui lui semblaient caractéristiques du mode nomade.

Le lézard l’avait bluffé par sa simplicité d’être et d’agir. C’est probablement dans le dénuement et le vide que se trouvaient les plus grands accomplissements.

Le pinson enfin lui avait donné une image gaie du nomadisme : s’amuser à changer pour changer plus aisément.
Quel beau tableau du nomadisme lui avaient dépeint toutes ses rencontres miraculeuses !


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