La nuit tombait et le marcheur hâta le pas vers un vallon
qu’un marcheur lui avait indiqué et où, lui avait-il dit, il trouverait un abri
confortable. Une fois arrivé, l’accueil qu’il reçut le réconforta :
l’endroit tenait ses promesses. Toutefois et sans savoir pourquoi, ses sens se
mirent aux aguets. Il s’installa dans le gîte, prit une douche et attendit que
le repas fut servi, en repensant à sa journée.
Une cloche se fit entendre pour signifier aux marcheurs que
le repas était servi. Plus de dix convives se rassemblèrent autour de la table. La nourriture
était bonne et abondante. Les discussions s’entrechoquaient. Les rires
fusaient. L’ambiance devenait pourtant électrique mais, il semblait que
personne ne s’en apercevait. Tout à
coup, un orage éclata. D’un bond, notre marcheur fut debout. Il fonça au
premier étage où il avait laissé ses affaires. Il surprit un des convives en
train de fouiller dans son sac.
-
Que faites-vous là ? lança-t-il
L’autre, sans attendre, lâcha tout et partit en courant. Il
le poursuivit jusque dehors où la pluie commençait à tomber fort. Le voleur
disparut dans la nuit.
- Être sur ses gardes reste une qualité indispensable
lorsqu’on n’est pas chez soi, n’est-ce pas ?
Quelqu’un dans le noir lui avait lancé cette question,
comme s’il savait ce qu’il s’était passé depuis le début de la soirée. Le marcheur
orienta le faisceau de sa lampe vers le coin de la pièce d’où provenait la voix. A sa grande
surprise, il ne vit personne. Il mit cette hallucination sur le compte de la
fatigue et alla se coucher. Dès qu’il éteignit la lumière, il entendit le bruit
caractéristique d’un moustique. Après plusieurs tentatives pour tuer le
dérangeur, il entendit la même voix lui dire dans le noir ;
- Être sur ses gardes reste une qualité indispensable, vous
ne trouvez pas ?
-
Vous voulez parler de vous ou de moi ? s’entendit-il
répondre
-
De vous, de moi, de tout le monde, dès lors qu’on n’est pas
chez soi, répondit la voix.
-
C’est vrai ! D’ailleurs tout à l’heure, heureusement
que j’étais sur mes gardes ! Encore un peu, et je me faisais voler !
-
Et moi, heureusement que j’étais sur mes gardes, sinon
c’est vous qui m’écrasiez contre votre épaule !
Le moustique lui adressait la parole. Notre homme,
interloqué chercha à en savoir plus.
-
Et pourquoi vous me dites ça ? lui dit-il
-
Seulement pour discuter un peu. On n’a pas toujours
l’occasion de discuter avec un spécialiste de la mobilité et de l’adaptation.
-
Ah bon ? Je suis un spécialiste de la mobilité et de
l’adaptation ?
-
Bien sûr. Vous bougez tous les jours et vous devez vous
adapter en permanence. Et moi aussi.
-
Expliquez-moi ça ! fit le marcheur.
-
Savez-vous que nous sommes les champions de l’adaptation
aux produits insecticides que les services sanitaires essaient de mettre
au point pour lutter contre nous ? Nous nous adaptons très vite en opérant
des mutations.
-
Et vous faites ça pour ne pas mourir n’est-ce pas ?
-
Bien sûr, mais pas seulement.
-
Là, vous m’intéressez beaucoup, cher ami moustique !
Et pour quoi d’autre alors ?
-
Pour progresser bien sûr ! Jour après jour, épreuve
après épreuve, dès que nous résistons en mutant, nous apprenons et en
apprenant, nous progressons.
Le marcheur hocha de la tête en s’exclamant :
-
Moi aussi, je fais ça quand je marche, bien sûr. J’apprends
tous les jours de mes épreuves.
-
N’est-ce pas ? dit le moustique
-
C’est une belle leçon que vous venez de me donner là !
Merci beaucoup, fit l’homme.
-
Et vous, que pouvez-vous m’apprendre sur l’adaptation pour
que je progresse encore? s’amusa le moustique.
L’homme réfléchit et prit un air grave.
-
S’adapter, c’est aussi affronter la solitude. Je crois
que modifier sa manière de faire est un acte très solitaire. Nous nous
retrouvons tous face à nous-mêmes à l’heure du changement.
Le moustique en resta coi, leva les yeux au ciel en marque
de réflexion, puis hocha sa trompe en signe d’approbation.
-
C’est bien vrai ce que vous venez de dire là,
Monsieur ! lança l’insecte. Cela va nourrir ma nuit plus que l’hémoglobine
dont je vous aurais volontiers prélevé un petit échantillon. Je vous souhaite
un sommeil réparateur, cher marcheur !
Notre homme entendit le moustique quitter la chambre. Avant de
s’endormir, il prit son carnet et inscrivit ces mots
Rester sur ses
gardes, faire confiance à son intuition, changer pour apprendre et progresser,
savoir affronter la solitude : changer est un acte solitaire.
Satisfait, il éteignit la lumière et s’endormit très vite.
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