samedi 10 novembre 2018

Sagesses nomades (Extraits) ; la jument ; rester libre

Chaque semaine, je vous fais partager des extraits de mon nouveau livre "Sagesses nomades". Cette semaine, un dialogue entre le voyageur et un cheval, libre malgré les entraves.
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- Votre espèce a toujours accompagné l’espèce humaine pour l’aider à porter, cultiver, voyager.  Espèce domestiquée et encore parfois, sauvage, vous avez traversé les âges et semblez avoir conservé les rituels de vos origines nomades et en même temps vous vous adaptez très bien à votre existence sédentaire. Comment faites-vous ?
La jument prit le temps de brouter une touffe d’herbe avant de lui répondre.
- Eh bien je crois que nous nous sentons libres malgré les barricades, malgré les clôtures, malgré les contraintes. Libres entourés de barbelés, cela peut paraitre contradictoire, évidemment.
- Je confirme.
- Vous savez, si nous regardions seulement notre passé avec nostalgie, il nous enfermerait encore plus que ces barrières.  Notre passé est là pour construire notre avenir : pas pour nous entraver.
Le voyageur rebondit sur ce que venait de lui dire la jument.
- Un auteur célèbre, Jean de La Fontaine, a écrit une fable « Le chien et le loup » dans laquelle, il prône la liberté contre la prison que représente la domestication des animaux. Qu’en pensez-vous ?
- D’un certain point de vue, il a probablement raison, et le loup peut considérer que le chien s’est laissé enfermer par l’homme ; question de perception en fait. Les mustangs sauvages, s’ils nous rencontraient, pourraient avoir le même point de vue sur nous. Nous voyons cet enclos comme un espace sécurisé mis à notre disposition, pas comme une prison. Et dans cet enclos, nous restons libres de continuer à vivre comme bon nous semble. Il y a des choses que nous ne pouvons pas changer : les accepter, c’est rester libre.
- D’accord, mais si demain, les hommes vous attachent à un piquet avec une corde de cinq mètres de long ?
- Dans ce cas, je chercherais probablement à briser cette corde : si elle cède, je m’enfuirais. Si je n’y parviens pas, c’est une nouvelle entrave que je devrais accepter.
Le voyageur, un peu estomaqué par ce que venait de lui exprimer la jument, répondit, enjoué.
- Merci beaucoup ! Vous m’avez vraiment inspiré et je salue votre philosophie. Je ne suis pas sûr d’appliquer ces principes tous les jours. Mais, en tous cas, ils me resteront en mémoire, c’est certain !
- Vous m’en voyez très honorée ! Et merci pour votre recette de compote ? C’est bien comme ça que vous l’appelez ?
- Oui, oui, c’est bien ça, répondit le voyageur en souriant.
- Même si je ne cuisinerai probablement jamais, vous m’avez montré une autre utilisation des pommes, et c’est déjà beaucoup : je crois que je ne mangerai plus jamais les pommes de la même manière.
Sans un mot de plus, il lui fit un signe de la main, remit son sac d’un coup d’épaule et tourna les talons. Il entendit la jument le saluer avec un doux frémissement.

Quelle sagesse que de considérer les barbelés comme des opportunités de rester libre ! Pas facile et surement discutable évidemment, la difficulté résidant dans l’estimation ou la perception de ce qui est sous notre contrôle ou pas.
Le voyageur pensa sombrement que la société dans laquelle il vivait offrait de plus en plus de contraintes : normes, règles, lois en tous genre qui entravaient la liberté de tous. Un jour, les gendarmes lui avaient demandé d’arrêter de brûler ses déchets végétaux dans son jardin sous peine d’une amende. Il avait obtempéré puis quelques temps après, avait recommencé, considérant que cette contrainte était idiote, au risque de payer l’amende.
Plus douce, d’autres obligations tentent d’entraver notre liberté. Par exemple, il recevait régulièrement des courriers qui tentaient de le contraindre à passer des contrôles de prévention de maladies diverses. Il considérait que c’était son choix de répondre positivement ou non, malgré les arguments avancés : sécurité, prise en charge précoce plus efficace.
Ne pas respecter d’autres contraintes ou règles était bien plus difficile, voire impossible, que ce soit des contraintes morales « Tu ne voleras point », sociales « Tu paieras tes dettes » ou juridiques « Tu ne tueras point ». L’intention de toutes ces contraintes était sans doute positive. Il avait la faiblesse de penser qu’à l’origine, résidait une volonté de vouloir préserver la sécurité, la santé, la propriété. Les théories du complot qui tendaient à vouloir faire croire que tout était calculé pour contraindre les citoyens de la planète à respecter un ordre mondial avec une intention de trépanation collective à des fins lucratives ou de prise de pouvoir, ne parvenaient pas à le convaincre. Il était convaincu que, quelques soient les contraintes d’un système auquel il était confronté – et il y en avait toujours-  chacun pouvait-devait- garder son périmètre de responsabilité et d’influence. La pensée unique guettait les humains plus aujourd’hui qu’hier : mais peut-être encore plus aujourd’hui qu’hier, le voyageur pensait que la pensée libre était salvatrice, et que nous avions toujours le choix d’accepter les contraintes de manière soumise ou, au contraire, comme le lui avait démontré la jument, de le faire en se créant une opportunité de vivre libre.
L’enfant, qui, en classe, laisse échapper ses pensées en observant l’oiseau perché sur l’arbre de la cour, choisit de se libérer plutôt que de regarder, impatient, la pendule qui n’avance pas. 
Être libre, c’est rester maître de ses choix, de ses décisions, de ses convictions, y compris dans un cadre contraignant. Ce cercle vertueux permettait selon le voyageur de résoudre ce doux paradoxe qui existait entre contrainte et liberté..

Copyright © Yann Coirault 2018
Illustrations Copyright © Karine Saigne 2018

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