Le marcheur n’avait pas encore trouvé de
prothèse pour marcher avec ce fardeau. La lumière s’était éteinte et il
avançait à tâtons dans un monde nouveau. Il ne voyait pas clair dans ce
chemin nouveau. Qu’allait-il y faire ? Comment allait-il s’y
prendre ? Allait-il s’épanouir comme le papillon défroissant ses
ailes ? Probablement. Cela passerait par des chemins noueux, des
bifurcations impossibles, des virages à rebours, des côtes épuisantes, des
descentes vertigineuses. Après la culpabilité, que pouvait-il y avoir ? La
capacité d’affronter le passé, les souvenirs, la volonté de s’exposer à la
douleur du souvenir ; il le savait. Ces douleurs volontaires, un peu
masochistes pour mieux se guérir, le marcheur savait que cela faisait partie du
processus de convalescence. S’infliger de revivre, de repenser, de revoir, de
se remémorer pour mieux revivre, mieux se retrouver, se réapprendre. Apprendre
à relier ce passé à ce présent incompréhensible, par quelques fils ténus et
acceptables. Continuer sur cette toile à reconstruire un pont entre les temps,
patiemment, avec opiniâtreté, avec ténacité, entêtement, parce que sans toile,
pas de passage, sans pont, point de salut. Pont de fils, pont de bois,
souplesse et solidité mariées, l’arbre foudroyé repousserait, la sève, force de
vie, alimenterait cette progression élémentaire, naturelle, vigoureuse. Pas
dans la même direction, probablement. Sa croissance serait déviée. Vers un
autre avenir, comme si la route était devenue impasse ; à continuer tout
droit, le néant ne serait pas loin. La reconstruction patiente, humble et solitaire
se ferait plus belle si les nouvelles pousses se nourrissaient des anciennes. Et
le marcheur savait cela difficile. Rien ne se crée : tout se transforme !
La compréhension de ce qu’il avait appris et de ce qu’il apprendrait de cette
bombe, injuste, soudaine, inexplicable tombée un jour dans ce jardin devenu
cimetière, la compréhension et la conscience des modifications profondes, des
mutations irréversibles, des transformations de ses valeurs, de son identité
mais aussi de la découverte de ce qu’il était venu faire sur cette planète
pouvaient devenir un carburant de vie nouvelle.
Le plus grand voyage pour le nomade c’est la mort. Le
marcheur se souvint d’une phrase qu’il avait lue :
« Le vrai nomade ne meurt pas pour garder une
terre mais pour conserver le droit de la quitter »
Jacques Attali- Chemins de sagesse Traité du labyrinthe
Jamais la blessure ne disparaîtra ; les
traces de la blessure pourront un jour peut-être faire moins mal, s’adouciront
un peu, s’arrondiront pour faire partie intégrante de la nouvelle silhouette,
du nouvel arbre à nouveau en croissance.
Le plus grand voyage pour le nomade c’est la mort. Le
marcheur se souvint d’une phrase qu’il avait lue :
« Le vrai nomade ne meurt pas pour garder une
terre mais pour conserver le droit de la quitter » Jacques Attali- Chemins de sagesse Traité du labyrinthe
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