Chaque semaine, je vous fais partager des extraits de mon nouveau livre "Sagesses nomades". Cette semaine,un dialogue entre le voyageur et trois oiseaux migrateurs.
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Le
voyageur traversait un grand pâturage : les parcelles étaient séparées de
petits murets de pierres sèches et de loin cela ressemblait à un grand jeu de
tangram. Le temps était frais et le soleil éclairait les couleurs de l’automne
pour les rendre plus éclatantes encore. Face à lui, haut dans le ciel, il vit
arriver un vol d’oiseaux qu’il ne pouvait pas encore identifier. Ils étaient
trois, formant un triangle magnifique. Le voyageur reconnut alors des cigognes
en route vers le sud. Perplexe, il les vit opérer un virage au-dessus de lui.
En trois grands cercles, les oiseaux avaient atterri à cinquante mètres devant
lui. Il s’approcha doucement craignant de les effrayer. Une des cigognes, fit
alors quelques pas vers lui, de sa fière démarche, et levant son bec,
fit :
- Qui êtes-vous voyageur ?
- Et vous donc, voleuses ? fit le voyageur en
riant.
- Pourquoi nous traitez-vous de voleuses ? rétorqua
la cigogne offusquée. On dit que ce sont les pies qui sont voleuses, pas les
cigognes.
- Excusez-moi. C’est un mauvais jeu de mot. Je voulais
parler de vol… en altitude.
La cigogne haussa les épaules. Le voyageur se rendit
compte un peu tard qu’il avait pris des libertés trop rapides avec ce bel
oiseau ; son humour déplacé compromettrait peut-être cet échange.
- Je suis désolé de mon mauvais jeu de mots. Veuillez
m’excuser.
- Je vous en prie. Ce n’est pas grave.
- Je suis un voyageur. Je vais où le chemin me mène. Et
vous, vous allez où le vent vous porte ?
- C’est à peu près ça, oui. Le vent nous mène au sud.
Nous allons chercher un climat plus clément, comme chaque année. Il commence à
faire trop froid ici.
- C’est donc la seule raison qui vous fait faire ces
milliers de kilomètres ? demanda le voyageur.
- Eh bien, oui, pour quelle autre raison à votre
avis ? répondit la cigogne un peu étonnée.
- Je ne sais pas. Vous allez peut-être retrouver
d’autres de vos congénères pour vous reproduire ? Je sais que certaines
migrations poursuivent cet objectif.
- Il se trouve
que c’est dans vos contrées que nous construisons nos nids. Nous migrons dans
le Sud de l’Afrique et de l’Asie pour trouver une température plus agréable
l’hiver. Vous n’avez pas l’air de bien nous connaitre, fit la cigogne un peu
agacée.
Le voyageur sentit que sa question ne lui avait pas fait
gagner des points.
- Je suis effectivement un piètre connaisseur de la
nature, avoua le voyageur. Mais je m’y intéresse de plus en plus, notamment
avec des rencontres comme la nôtre. Est-ce que je peux me permettre de vous
poser une autre question ?
- Allez-y, fit la cigogne.
- Prenez-vous toujours le même itinéraire ou en
changez-vous en fonction des conditions météorologiques ?
- Nos routes migratoires sont les mêmes car notre
migration a lieu tous les ans à la même époque et que globalement les vents
dominants s’installent de manière régulière. Et vous ? Quand vous marchez,
prenez-vous le même chemin ?
- Moi c’est différent. Quand je marche, c’est pour mon
plaisir et ce n’est pas pour aller trouver une température plus clémente. Mais
il est vrai qu’une certaine partie de nos populations migrent tous les ans pour
les vacances, et qu’ils prennent majoritairement toujours le chemin du Sud
plutôt que celui du Nord.
- Oui, c’est vrai. J’ai vu des masses impressionnantes
de voitures toutes arrêtées sur des grandes routes certains jours d’été, dit une
des deux cigognes restée un peu en retrait.
- C’est vrai, moi aussi, reprit la première cigogne.
Vous êtes un peu comme nous alors ?
- Un peu, oui, fit le voyageur. Mais de mon côté,
j’essaie de ne pas suivre la masse de ces migrations de vacances. Je préfère la
quiétude des chemins de campagne.
- C’est donc cela qui vos entraine à marcher, comme ça,
seul, avec un gros sac sur votre dos ? Ça doit être lourd non ?
- Eh bien, je fais attention à ce que cela ne soit pas
trop lourd justement, sinon, je risquerais au mieux de me ralentir, au pire de
ne plus pouvoir avancer. Vous le savez aussi vous ; si vous êtes
alourdies, vous volez moins facilement, n’est-ce pas ?
- Bien sûr ! Quand nous avons un long trajet, à
faire, nous prenons garde à ne pas trop manger ! Hein, les filles ?
Les cigognes approuvèrent du bec en lissant leurs belles
plumes.
- La légèreté lorsque nous migrons est primordiale, vitale
même, continua-t-elle. Lorsque vous
devez lutter contre le vent, la pluie, les orages ou les tornades, vous avez
tout intérêt à ne pas être trop lourd, sinon…
- Je comprends. Pour moi, c’est pareil. Si j’alourdis
trop mon sac, les tendinites, les ampoules et les tensions musculaires arrivent
vite avec un arrêt obligatoire à la clé, voire un retour au point de départ. Ça
m’est déjà arrivé !
- Bah, c’est sûr ! approuva la cigogne. Mais je ne
comprends pas très bien pourquoi c’est la raison qui vous fait marcher. Vous
pourriez tout aussi bien prendre une voiture, un train ou un bus.
- Marcher c’est aussi être léger dans sa tête. Dès que
je me mets à marcher, j’oublie très vite mes soucis, je me centre sur
l’essentiel en laissant de côté le secondaire. Ça me fait tellement de
bien si vous saviez.
- Qu’est-ce que vous appelez des soucis ?
Le voyageur sourit, se rendant bien compte que les
cigognes n’avaient pas ce mot dans leur vocabulaire.
- Des préoccupations, des problèmes à régler, des
solutions à trouver
- Je comprends mieux. Alors, marcher vous aide à
résoudre ces problèmes ?
- Pas toujours. Mais marcher permet de relativiser
l’importance de nos soucis et surtout de savoir ceux que nous pouvons résoudre
en laissant tomber ceux que nous ne pourrons jamais résoudre parce qu’ils ne
nous appartiennent pas vraiment.
- Je ne comprends pas.
- Si je passe mon temps à me dire que je suis laid,
c’est un souci.
- Oui.
- Et si je passe mon temps à me dire que je ne peux pas
résoudre ce problème, je perds mon temps n’est-ce pas ?
- Evidemment. C’est comme si on se disait tous les jours
que notre bec est trop long ! Ce serait idiot ! fit la cigogne en se
retournant vers ses amies qui approuvèrent de la tête.
- Et bien, c’est la même chose pour plein d’autres
problèmes que nous pensons avoir et qui n’en sont pas : l’âge que l’on a,
les défauts de ses parents, le caractère de son collègue de travail. Marcher
permet de nous alléger de poids inutiles.
- Vous êtes bizarres vous les humains mais je comprends
ce que vous voulez dire.
- Merci beaucoup d’avoir pris le temps de parler avec
moi, dit le voyageur, qui décidément prenait plaisir à parler avec les animaux.
- Je vous en prie. Nous avons été heureuses de vous
rencontrer. Nous avons bien fait de nous arrêter. C’était très agréable. Nous
allons reprendre notre route. Notre voyage est loin d’être terminé ! Et
puis, l’est-il vraiment un jour ? dit la cigogne en clignant de l’œil vers
le voyageur amusé.
- Bon voyage ! fit chaleureusement le voyageur
alors que les trois oiseaux migrateurs prenaient leur envol.
Pensif,
ému et reconnaissant, il regardait ses nouvelles rencontres s’envoler. Il
restait stupéfait de ces merveilleux échanges et se demandait si à un moment ou
à un autre, il n’allait pas se réveiller d’un rêve magique, au milieu de la
nuit et de son lit.
Copyright © Yann Coirault 2018
Illustrations Copyright © Karine Saigne 2018
Illustrations Copyright © Karine Saigne 2018
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