Chaque semaine, je partage avec vous des extraits de mon dernier livre "Sagesses nomades".
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"La nuit
tombait et le voyageur hâta le pas vers un vallon qu’un randonneur lui avait
indiqué et où, lui avait-il dit, il trouverait un abri confortable. Une fois
arrivé, l’accueil qu’il reçut le réconforta : l’endroit tenait ses
promesses. Toutefois et sans savoir pourquoi, ses sens se mirent aux aguets. Il
s’installa dans le gîte, prit une douche et attendit que le repas fut servi, en
repensant à sa journée.
Une
cloche se fit entendre pour signifier aux voyageurs que le repas était servi.
Plus de dix convives se rassemblèrent autour de la table. La nourriture était
bonne et abondante. Les discussions s’entrechoquaient. Les rires fusaient.
L’ambiance devenait pourtant électrique mais, il semblait que personne ne s’en
apercevait. Tout à coup, un orage éclata.
D’un bond, notre voyageur fut debout. Il fonça au premier étage où il avait
laissé ses affaires. Il surprit un des convives qu’il n’avait pas vu quitter la
table, en train de fouiller dans son sac.
- Que faites-vous là ? lança-t-il
L’autre, sans attendre, lâcha tout et partit en courant.
Il le poursuivit jusque dehors où la pluie commençait à tomber à verse. Le
voleur disparut dans la nuit. Le voyageur remonta dans sa chambre en repensant
au culot du voleur. Il se demanda aussi quel avait été le signal qui l’avait
décidé à quitter la table ; probablement un ensemble de petits signes, de
l’électricité dans l’air, une sorte d’absence temporaire pour aiguiser ses sens
vers autre chose, un sentiment que le temps se concentre, se densifie.
- Être sur ses gardes reste une qualité indispensable
lorsqu’on n’est pas chez soi, n’est-ce pas ?
Quelqu’un dans le noir lui avait lancé cette question,
comme s’il savait ce qui s’était passé depuis le début de la soirée. Le
voyageur orienta le faisceau de sa lampe vers le coin de la pièce d’où
provenait la voix. A sa grande surprise, il ne vit personne. Il mit cette
hallucination sur le compte de la fatigue et alla se coucher. Dès qu’il
éteignit la lumière, il entendit le bruit caractéristique d’un moustique. Après
plusieurs tentatives pour tuer le dérangeur, il entendit la même voix lui dire
dans le noir ;
- Être sur ses gardes reste une qualité indispensable,
vous ne trouvez pas ?
- Vous voulez parler de vous ou de moi ?
s’entendit-il répondre.
- De vous, de moi, de tout le monde, dès qu’on n’est pas
chez soi, répondit la voix.
- C’est vrai ! D’ailleurs tout à l’heure,
heureusement que j’étais sur mes gardes ! Encore un peu, et je me faisais
voler !
- Et moi, heureusement que j’étais sur mes gardes, sinon
c’est vous qui m’écrasiez contre votre épaule !
Notre homme, interloqué chercha à en savoir plus.
- Et pourquoi vous me dites ça ? lui dit-il.
- Seulement pour discuter un peu. On n’a pas toujours
l’occasion de discuter avec un spécialiste de la mobilité et de l’adaptation.
- Ah bon ? Je suis un spécialiste de la mobilité et
de l’adaptation ?
- Bien sûr. Vous bougez tous les jours et vous devez
vous adapter en permanence. Et moi aussi.
- Comment savez-vous ça ? fit le voyageur.
- Ça se voit. Vous avez un gros sac sur le dos.
- Ah ?! Vous avez remarqué cela ?
- Oui. Bien sûr. Nous n’avons pas nos yeux dans nos
ailes, fit le moustique en les faisant vrombir.
Après avoir changé de position
pour se rapprocher du marcheur, le moustique reprit.
- Savez-vous que nous sommes les champions de
l’adaptation aux insecticides que les services sanitaires essaient de
mettre au point pour lutter contre nous ? Nous nous adaptons très vite en
opérant des mutations.
- Et vous faites ça pour ne pas mourir n’est-ce
pas ?
- Bien sûr, mais pas seulement.
- Là, vous m’intéressez beaucoup, cher ami
moustique ! Et pour quoi d’autre alors ?
- Pour progresser bien sûr ! Jour après jour,
épreuve après épreuve, dès que nous résistons en mutant, nous apprenons et en
apprenant, nous progressons et nous nous protégeons de mieux en mieux.
Le voyageur hocha de la tête et s’exclama.
- Moi aussi, je fais ça quand je marche, bien sûr.
J’apprends tous les jours de mes épreuves.
- N’est-ce pas ? dit le moustique.
- C’est une belle leçon que vous venez de me donner
là ! Merci beaucoup, fit l’homme.
- Et vous, que pouvez-vous m’apprendre sur l’adaptation
pour que je progresse encore? s’amusa le moustique.
L’homme réfléchit et prit un air grave en repensant à ce
que lui avait dit le héron.
- S’adapter, c’est aussi vivre la solitude. Je crois que
modifier sa manière de faire est un acte très solitaire. Nous nous retrouvons
tous face à nous-mêmes à l’heure du changement.
Le moustique leva les yeux au ciel en marque de
réflexion, puis hocha sa trompe en signe d’approbation.
- C’est bien vrai ce que vous venez de dire là,
Monsieur ! lança l’insecte. Cela va nourrir ma nuit, et bien plus que
l’échantillon d’hémoglobine dont je vous aurais volontiers allégé. Je vous
souhaite un sommeil réparateur, cher voyageur !
Notre
homme entendit le moustique quitter la chambre. Avant de s’endormir, il prit
son carnet et inscrivit ces mots à la suite de ceux qu’il avait écrits tout à
l’heure : Rester vigilant
Satisfait,
il éteignit la lumière et s’endormit très vite."
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