La parabole du renard et du hérisson
Extrait de l'article de Hubert Guillaud
http://www.internetactu.net/2013/02/19/le-futur-entre-resilience-et-resistance/
A l’heure de l’incertitude permanente, le futur n’est pas aussi tracé qu’on le croit ? Comment nous adapter à ce qui arrive ? Telle était le sujet d’une session d’interventions de la dernière conférence Lift qui se tenait à Genève du 6 au 8 février 2012.
Venkatesh Rao (@vgr) est l’auteur de Tempo, un livre sur la prise de décision et prépare un autre ouvrage sur la création et la destruction de la valeur. Il est également blogueur pour Forbes et Information Week. Sur la scène de Lift (vidéo), il est venu présenter une parabole sur notre capacité à nous adapter (voir sa présentation), s’appuyant sur l’opposition entre le renard et le hérisson introduite initialement par le poète grec Archilogue, le romancier Léon Tolstoï et développée par le philosophe Isaiah Berlin dans son livre "Le hérisson et le renard".
Pour Venkatesh Rao, la meilleure définition de larésilience c’est d’être capable de se relever à chaque fois qu’on vous cogne et qu’on vous jette à terre, comme dans un combat de boxe. C’est un peut-être un peut synthétique, mais l’image à l’avantage d’être claire.
“Comment est-on résilient ? Pourquoi certains le sont-ils plus que d’autres ? Pourquoi certains se relèvent-ils quand ils sont à terre et d’autres non ?” Pour comprendre cela, il faut comprendre que nous ne réagissons pas tous de la même manière à l’imprévu. D’où le passage par la parabole. Si le renard connaît bien des tours pour s’adapter à une situation et la relever, le hérisson n’en connaît qu’un, celui de se rouler en boule et de sortir ses piquants. Leurs résiliences sont différentes. Après avoir été mis à terre, le renard se relève pour repartir à l’aventure, pour faire autre chose, alors que le hérisson retourne à ce qu’il était en train de faire.
Si le renard, la dinde et le hérisson étaient tailleurs de pierre, le renard construirait la cathédrale, le hérisson serait le meilleur tailleur de pierre, le plus appliqué, quant à la dinde, elle confesserait ne pas trop savoir pourquoi elle est là. Si on lançait une meute de chiens devant ces animaux, le renard se mettrait à courir. Le hérisson se roulerait en boule… et la dinde se dirait qu’il ne sert à rien de courir…
Ces paraboles, estime Venkatesh Rao, nous apprennent des choses importantes sur la question de la résilience et nos réactions face à ce que l’on ne comprend pas, mais aussi sur les questions de leadership et de collaboration. Reste, qu’il n’est pas clair de savoir s’il vaut mieux être un renard ou un hérisson (même si a priori il vaut mieux ne pas être la dinde).
La résilience du renard demande de de s’avoir s’adapter. Le renard créé en acceptant les contradictions, à l’image des Jugaad indiens, ces “arrangements improvisés”, ces “contournements”, marque de la créativité à laquelle les Indiens sans ressources ont recours pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne comme quand ils arrangent des véhicules à leurs problématiques locales, en faisant tirer une voiture par un cheval par exemple ou en ou une charrue à une moto. Si les hérissons sont plus prévisibles que les renards, le talent est de savoir mêler les deux, à l’image de Tolstoï, qui avait les valeurs d’un hérisson et les talents du renard.
C’est dans une matrice entre talents et valeurs qu’il faut comprendre ces deux formes de résilience, explique Venkatesh Rao. Alors que le renard pense qu’il a l’esprit ouvert, le hérisson pense que le renard n’est pas fiable. Le hérisson a un modèle de pensée assez simple qui lui fait exporter son style de vie partout, qui fait qu’il a tendance à avoir une seule identité quelque soit la situation à laquelle il est confronté. Il créé en éliminant les contradictions, ce qui fait qu’il a tendance à être un mauvais prévisionniste, mais sait apprendre des fondamentaux. Enfin, il est autonome et a des valeurs constantes.
L’esprit du renard, lui, a un modèle de pensé multiple : il créé en acceptant les contradictions. Il a une identité changeante et s’adapte à l’endroit où il se trouve. S’il est meilleur dans ses prédictions, il a tendance à s’enfuir face à un problème et à se précipiter vers les opportunités. Il préfère le transitoire, a des valeurs fondées sur l’utilité immédiate, il a un état d’esprit jetable et apprécie le hacking.
Chaque hérisson est résilient de la même façon quand chaque renard est résilient de sa propre façon. Si les hérissons sont prévisibles, les renards ne le sont donc pas.
Pour le hérisson, le renard est égoïste, irresponsable, intrigant, crédule… A l’inverse, pour le renard, le hérisson est doctrinaire, hypocrite, naïf, avare, ennuyeux et prévisible. Pour l’un et pour l’autre, les valeurs et talents sont différents et ils ne se perçoivent pas de la même façon. Le hérisson se voit comme cohérent, consciencieux, responsable et sceptique, alors que le renard se voit comme ouvert, adaptable, intéressant, aventureux et imaginatif.
Pour adopter la résilience du renard, estime Venkatesh Rao, il faut se fonder sur les contradictions plutôt que sur les valeurs : l’entreprise – faisant référence au vaisseau Enterprise de Star Trek qui avait pour mission d’aller là où aucun homme n’était jamais allé – signifie un voyage aventureux avant que d’être une institution. Il faut également préserver la mémoire plutôt que l’identité. Les renards préfèrent les souvenirs, mêmes cassés, que conserver les choses. Il faut également rechercher les motifs plutôt que la vérité. La mondialisation se comprend plus par le modèle du conteneur que par l’axiome de la platitude du monde. Enfin, il vaut mieux poursuivre l’aventure que l’amour, il vaut mieux favoriser un projet de satellite open source àl’arme la plus inattaquable du monde pour faire référence à deux projets de l’artiste sud-coréen Hojun Song (qui avait été l’invité d’un précédent Lift où il avait évoqué justement ces deux projets).
“Le renard et le hérisson sont deux jumeaux complémentaires, un peu comme le ying et le yang. Si vous essayez d’agir comme le renard, immanquablement, le hérisson en vous va émerger. C’est-à-dire que si vous construisez sur les contradictions, la question de la valeur va émerger. Si vous cherchez à préserver la mémoire, la question de votre identité va émerger. Si vous recherchez les modèles, la question de la vérité va émerger. Si vous cherchez l’aventure, incontestablement, la question de l’amour, de la passion pour ce que vous faites, va émerger.”
Une parabole, parfois verbeuse ou grandiloquente sur le management des hommes et des organisations, mais finalement plus réflexive qu’il pouvait n’y paraître, et qui au final, souligne que les valeurs sur lesquelles se fondent aujourd’hui une grande part du discours du management doivent peut-être devenir un peu plus complexes pour affronter des temps difficiles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire