Heinz Weinmann, professeur de littérature au Cegep de Rosemont au Québec, nous livre ses réflexions étymologiques à propos du nomadisme et de la sédentarité. Il nous éclaire sur la différence de l'espace-temps entre nomades et sédentaires. À première vue, nomade, “nomadisme” recouvre une activité, la migration, l'errance sans but; “sédentaire”, un état, celui d'être définitivement installé dans un lieu. À vrai dire, l'étymologie du mot grec “nomos” montre que cette opposition n'est que secondaire, dérivée. “Nomos” implique tout d'abord l'idée de distribution, non pas distribution au sens d'un partage de quelque chose qui serait donné que l'on divise, mais “répartition de ceux qui se distribuent dans un espace ouvert, illimité, du moins sans limites précises”, répartition qui échappe à toute “territorialisation”, à toute limitation et définition spatiales De façon générale, le nomade se refuse à toute spatialisation de l'Etant: spatialisation du temps, des Divinités etc. Kant a montré que l'espace n'est en somme qu'un temps fixé, figé. Or, le nomade, pour se soustraire à cette fixation spatiale, vit selon des rythmes, des flux toujours changeants, imprévisibles, il temporalise son existence. De la même façon, ses Dieux ne sont pas soumis à des “propriétés”, des domaines, attribués une fois pour toutes. Son Dieu est Un et Tout, partout et nulle part, Pan, Dieu des pâtres. Gide, celui qui, parmi les modernes, a le mieux chanté le nomadisme, a bien senti le lien qui existe entre nomadisme et panthéisme.
La sédentarisation est ainsi synonyme de partage d’espace. Le sédentaire se pose en effet d’abord la question de la place qu'il occupe : lorsque nous souhaitons construire une maison, nous commençons par réfléchir à la surface dont nous avons besoin en fonction du nombre de personne à abriter, du niveau de confort souhaité et de nos expériences passées. Puis, nous regardons les moyens nécessaires, le budget, et ensuite, le temps nécessaire pour y parvenir. Nous ajustons ensuite notre budget ou le temps, rarement le projet de construction que nous avons conçu.
Le nomade, lui, raisonne d’abord en temps nécessaire pour parvenir à une destination puis en moyens pour y parvenir. De combien de temps dispose-t-il avant la fin de la journée, de la semaine, de la saison ? Dans ce temps qui lui reste, jusqu’où peut-il raisonnablement aller ? Quels moyens pour y parvenir ? Si la durée est jugée trop importante, il réajuste l’objectif… et s’arrêtera là où le temps lui aura permis d’aller. Le nomade « déspatialise » sa représentation du monde. L’important pour lui n’est pas le partage de l’espace mais la répartition des temps. Il « temporalise son existence » comme le dit Heinz Weinmann. Et l’espace devient le temps « Combien d’heures avant la tombée de la nuit ? » et non « Combien de kilomètres avant d’arriver ? ».
La pensée spatiotemporelle nomade vient bousculer et enrichir nos modes habituels. Et si nous raisonnions en temps qu’il nous reste à vivre, plutôt qu’en objectifs d’acquisition, qu’est-ce que cela changerait ? L’important ne se trouve-t-il pas plus dans le chemin parcouru que dans les biens acquis dans notre existence ?
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