A ce moment, le voyageur entendit un bruit aux
carreaux de sa fenêtre. Il se tourna et vit un oiseau qui le regardait avec ses
yeux ronds. Il se leva doucement et ouvrit la fenêtre.
- Bonjour bel oiseau. Tu ne serais pas un pinson ?
- Bonjour. Oui. Je suis effectivement un pinson. Vous
êtes connaisseur ?
- Non, pas particulièrement. Mais, souvent les petits
oiseaux des arbres de nos jardins sont des pinsons. Alors, je n’ai pas beaucoup
de mérite. Pourquoi avez-vous cogné à mes carreaux ?
- Je le fais souvent. J’ai parfois la chance de tomber
sur quelqu’un qui me laisse quelques miettes de pain ou d’autres choses.
- Oh ? Ne bougez pas. Je dois avoir quelques
biscuits dans mon sac.
Le voyageur fouina dans les
poches de son sac à dos et y dénicha un paquet de galettes. Il en prit une et l’émietta sur la fenêtre.
- Merci, fit l’oiseau, après avoir prélevé une partie
des miettes offertes par le voyageur.
C’est très bon.
- Vous avez l’air guilleret. Vous êtes tout le temps
comme ça ?
- Je sais que, vous, les hommes disent « gai comme
un pinson ». Il doit y avoir une raison ?!
- Vous avez un chant tellement joyeux.
- Merci. C’est gentil.
- Je sais que les chants des pinsons se ressemblent
lorsqu’ils appartiennent au même territoire.
- Oui. C’est pour reconnaître d’éventuels intrus qui
viendraient d’ailleurs.
- Ah ! Et vous ? Vous est-il arrivé de changer
de territoire ?
- Oui. C’est très amusant. Lorsque là où nous vivons
présente moins d’intérêt, nous cherchons d’autres endroits où la vie est plus
agréable. C’est très grisant. D’ailleurs. Je songeais à changer de territoire.
Cette maison et son jardin sont très agréables mais j’ai envie d’en trouver une
autre.
- Ah oui ? Et bien écoutez ! Je vais partir
demain matin. Voudriez-vous m’accompagner ? fit le voyageur enthousiaste.
- Pourquoi pas. Où allez-vous ?
- Je rentre chez moi mais il me reste encore quelques
jours de marche dans la vallée avant de rejoindre une ville où je pourrai
reprendre un train.
- D’accord. Je vous suivrai demain.
- Parfait. Je dois redescendre maintenant. Ravi d’avoir
fait votre connaissance. On se retrouve demain matin alors ?
- Avec plaisir ! fit l’oiseau avant de prendre son
envol.
Du perron sur lequel était niché l’abri où il avait passé deux
nuits, le voyageur contemplait le chemin qu'il avait décidé
d’emprunter. Il descendait doucement vers une belle forêt. Il prit son temps pour profiter pleinement de sa
promenade en levant les yeux vers le faîtage des grands arbres qui
l’entouraient. A tout moment, il s’attendait à voir surgir une fée magnifique
sur sa blanche licorne. Les bruissements des insectes sous les feuilles mortes,
les oiseaux fuyant son passage en produisant des concerts de percussion dans
les arbres, les résonances d’eaux tourbillonnantes sous les racines noueuses
des chênes centenaires, toute cette symphonie l’emmenait, l’entrainait, le
menait vers cet endroit bizarre où le temps et l’espace ne sont plus que des
impressions présentes, la réalité, un flou enchainé, le futur, une hypothèse.
Il savait qu’il arrivait au bout de son périple et se remémorait ses
rencontres.
Elles
étaient tellement incroyables, tellement improbables, tellement imprévisibles,
qu’il aurait surement du mal à en parler, au risque d’être pris pour un doux
dingue sorti de son nuage. Elles étaient aussi tellement sensées, tellement
cohérentes, tellement simples qu’il se disait qu’elles étaient comme un message
à transmettre.
L’araignée
avait bousculé d’entrée les notions du temps et de l’espace qu’un nomade
pouvait avoir. Il voyait dans cet insecte un modèle d’immobilisme, centré
d’abord sur son seul espace vital. Et cela préfigurait ce qu’il allait
découvrir avec l’escargot : la perception de l’ampleur de l’espace est
primordiale dans l’idée que l’on se fait de la sédentarité ou de la mobilité.
Le nomadisme se fait à la mesure de ce que l’on connaît. En tous cas, il commence
par cela, quitte à élargir son univers petit à petit.
La
jument l’avait touché par sa capacité à accepter son statut de
« prisonnière libre ». Elle se disait heureuse et épanouie dans un
cadre limité par les fils électriques de son champ. Elle lui avait même dit
qu’ils avaient créé d’autres règles pour garantir cette liberté : le
partage de la nourriture était à la fois un signe de bienvenue et un rituel
obligatoire.
Les
cigognes, avec leur bonne humeur, l’avait bousculé profondément sur la manière
de conduire sa propre vie : rester léger, choisir le chemin le plus
favorable et faire du nomadisme un jeu pour abaisser la pression des enjeux
qu’il peut provoquer. Savoir s’alléger aussi des vieux démons. Savoir se
préparer en ne gardant que l’essentiel pour ne pas risquer de trainer des poids
inutiles. Au lieu de s’entêter à rester sur un chemin compliqué, semé
d’embûches, et qui ne correspond pas à ce que l’on souhaite, il est préférable
de changer de voie pour chercher un environnement plus favorable, plus simple,
plus facile et plus en correspondance avec ce que nous sommes capables ou ce
que nous souhaitons expérimenter. Les voies compliquées sont rarement les
bonnes. La simplicité reste souvent l’apanage des choix judicieux.
Le héron
l’avait frappé par sa capacité à rester seul. Et la solitude faisait aussi
partie de cette évolution. Le changement, parce qu’il est difficile, devait se
vivre seul à un moment donné, pensait le voyageur. Le nomade en permanence
confronté à la solitude dans ses difficultés, et ce, même entouré, devait
développer des capacités à affronter cette absence pour générer une force
solitaire, un courage individuel, une détermination unique pour surpasser les
obstacles.
Le
moustique blagueur lui avait appris que l’intuition et l’alerte permanente sont
le lot des individus en dehors de leur environnement habituel. La
méconnaissance d’un nouvel espace demande à rester en éveil, à sortir ses
capteurs, à « voir » tout ce qui nous entoure. Dans le mouvement,
rien n’est stable, tout bouge. Tout change, rien n’est acquis, rien n’est
prévisible. Dans le changement, l’angélisme n’est pas de mise. La règle c’est
le « ressort », l’exception, c’est la « roue libre ».
L’escargot,
symbole même de la lenteur, lui avait permis de prendre conscience des
différences de dimensions spatio-temporelles : un millimètre pour l’un,
c’est un mètre pour l’autre, une seconde pour l’un, c’est une année pour
l’autre. La lenteur n’était alors que perception, relativité, énergie.
Lorsqu’il marchait, le voyageur ralentissait son rythme : il y voyait un
intérêt primordial ; voir, sentir, percevoir, entendre ce qu’il ne voyait
pas d’habitude. Il lui semblait qu’en réduisant sa vitesse, il décompressait
l’espace en même temps que le temps. Et cela produisait des effets de bien-être
pour soi et d’attention au monde qui lui semblaient caractéristiques du mode
nomade.
Le
lézard l’avait bluffé par sa simplicité d’être et d’agir. C’est probablement
dans le dénuement et le vide que se trouvaient les plus grands accomplissements.
Le
pinson enfin lui avait donné une image gaie du nomadisme : s’amuser à
changer pour changer plus aisément.
Quel
beau tableau du nomadisme lui avaient dépeint toutes ses rencontres
miraculeuses !
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