Pierre exerce la profession de médecin de ville depuis plus
de vingt ans dans son cabinet duquel il n’a jamais bougé.
- Pierre,
ne jamais bouger de son lieu de travail, à part pour tes visites à
domicile, n’est-ce pas un peu
sclérosant ?
- Et
bien curieusement, non, fit-il en souriant. Le quotidien me permet de bouger
tous les jours.
- Comment
ça ? Tu as une clientèle qui change peu, tu as tes « habitués »,
des familles que tu suis depuis vingt ans, ton Jeudi qui est invariablement
destiné à ta formation, tes réunions ou tes tâches administratives.
Contrairement au médecin de campagne, le médecin de ville est perçu comme un
vrai sédentaire.
- Détrompe-toi !
Je bouge tous les jours dans mes pratiques, dans ma manière de voir les
pathologies, dans mes diagnostics, et heureusement ?! Imagine que nous
ayons aujourd’hui les mêmes compétences qu’il y a vingt ans ?! Ça ferait
pas mal de dégâts, non ?
- C’est
vrai ! Mais, physiquement, tu ne bouges pas beaucoup !
- Ça,
je veux bien le reconnaitre, répondit Pierre en me souriant, sa main sur son
ventre rebondi. Mais faut-il changer de cabinet tous les trois ans pour obtenir
tes faveurs et faire partie de la famille des nomades ?
- C’est
une bonne question !
- Tu
sais, je reçois aussi des gens du voyage parfois. Et bien, je me suis aperçu
que des valeurs communes nous rapprochaient et que par certains côtés je me
reconnaissais en eux.
- Ah
oui ? Par exemple ?
- La solidarité. Les
gens du voyage ont développé de manière assez naturelle une forte solidarité
entre eux, afin de s’entraider dans l’adversité, pour mieux se protéger les uns
les autres aussi. Tiens, lis ; c’est le serment d’Hippocrate
Mon premier souci
sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses
éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans
aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai
pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur
intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de
mes connaissances contre les lois de l'humanité. J'informerai les patients des
décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.
Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité
des circonstances pour forcer les consciences. Je donnerai mes soins à
l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer
par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront
confiés.
Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma
conduite ne servira pas à corrompre les mœurs. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas
abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. Je
préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je
n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les
perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. J'apporterai
mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.
Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes
promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque.
Tu peux y lire
notamment notre engagement à soigner les nécessiteux et à apporter notre aide à
nos confrères ainsi qu’à leur famille.
-
C’est vrai ! Je n’avais jamais
lu le serment d’Hippocrate sous cet angle.
-
Mais il n’y a pas que ça qui me
rapproche des nomades. Outre notre obligation à toujours être à la pointe des
savoirs, la solidarité dont nous faisons preuve entre nous et vis-à-vis des
plus pauvres, nous avons développé une constante humilité : notre puissance se
limite à notre savoir et si nous l’oublions, nous sommes vite rattrapés par la réalité. Même si la
médecine a fait des progrès considérables ces dernières années, les cas que nous ne parvenons pas à sauver
sont là pour nous le rappeler.
L’arrogance se marie souvent à la
stabilité : les certitudes remplacent les doutes, les assurances les
interrogations et le pouvoir dominant l’écoute des autres. L’humilité est la
fiancée du changement. Parce que changer c’est aussi changer de manière de
faire, de voir, de provoquer les choses, changer c’est aussi faire preuve de
modestie et de simplicité.
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