Du
perron sur lequel était niché l’abri dans lequel il avait passé deux
nuits, le marcheur contemplait le chemin qu'il avait
décidé d’emprunter. Il descendait doucement vers une belle forêt. Il prit son temps pour profiter pleinement
de sa promenade en levant les yeux vers le faîtage des grands arbres qui
l’entouraient. Aussi loin qu’il portait son regard, il ne voyait que du vert et
du brun, des rais de lumière venant illuminer les clairières comme des
projecteurs de scène. A tout moment, il s’attendait à voir surgir une fée
magnifique sur sa blanche licorne. Les
bruissements des insectes sous les feuilles mortes, les oiseaux fuyant son
passage en produisant des concerts de percussion dans les arbres, les
résonances d’eaux tourbillonnantes sous les racines noueuses des chênes centenaires,
toute cette symphonie l’emmenait, l’entrainait, le menait vers cet endroit
bizarre où le temps et l’espace ne sont plus que des impressions présentes, la
réalité, un flou enchaîné le futur, une hypothèse. Il savait qu’il arrivait au
bout de son périple et se remémorait ses rencontres.
Elles étaient
tellement incroyables, tellement improbables, tellement imprévisibles, qu’il
aurait surement du mal à en parler, au risque d’être pris pour un doux dingue
sorti de son nuage. Elles étaient aussi tellement sensées, tellement
cohérentes, tellement simples qu’il se disait qu’il aurait du mal à ne pas le
faire.
L'araignée avait
bousculé d’entrée les notions du temps et de l’espace qu’un nomade pouvait
avoir. Il voyait dans cet insecte un modèle d’immobilisme, centré d’abord sur
son espace vital. Et cela préfigurait ce qu’il allait découvrir avec
l’escargot : la perception de l’ampleur de l’espace est primordiale dans
la perception que l’on a de la sédentarité ou de la mobilité de quelque chose
ou de quelqu’un. Le nomadisme se fait à la mesure de ce que l’on connaît. En
tous cas, il commence par cela, quitte à élargir son univers petit à petit, si
la volonté et les moyens de mobilité sont présents. Le marcheur se disait que si
on fournissait à l’araignée un moyen de se déplacer à une vitesse un million de
fois plus rapide que sa vitesse habituelle, il se produirait des mutations
imprévisibles.
La jument l’avait
touché par sa capacité à accepter son statut de « prisonnière
libre ». Elle se disait heureuse et épanouie dans un cadre limité par les
fils électriques de son champ. Elle lui avait même dit qu’ils avaient créé
d’autres règles pour garantir cette liberté : le partage de la nourriture
était à la fois un signe de bienvenue et une règle.
Les cigognes, avec
leur bonne humeur, l’avait bousculé profondément sur la manière de conduire sa
propre vie : rester léger, choisir le chemin le plus favorable et faire du
nomadisme un jeu pour abaisser la pression des enjeux qu’il peut provoquer. Savoir
s’alléger d’abord des vieux démons. Savoir se préparer aussi en ne gardant que
l’essentiel pour ne pas risquer de trainer des poids inutiles. Au lieu de
s’entêter à rester sur un chemin compliqué, semé d’embûches, et qui ne
correspond pas à ce que l’on souhaite, il est préférable de changer de voie
pour chercher un environnement plus favorable, plus simple, plus facile et plus
en correspondance avec ce que nous sommes capables ou ce que nous souhaitons
expérimenter. Les voies compliquées sont rarement les bonnes. La simplicité
reste souvent l’apanage des choix judicieux.
Le phasme cet insecte improbable, l’avait frappé par son instinct de la sécurité, et cela lui semblait bien normal, au vu des écarts de taille entre lui et ses prédateurs. Son évolution l’avait amené à se cacher pour mieux se protéger. Et la solitude faisait aussi partie de cette évolution. Le changement, parce qu’il est difficile, devait se vivre seul à un moment donné, pensait le marcheur. Le nomade en permanence confronté à la solitude dans ses difficultés, et ce, même entouré, devait développer des capacités à affronter cette absence pour générer une force solitaire, un courage individuel, une détermination unique pour surpasser les obstacles.
Le phasme cet insecte improbable, l’avait frappé par son instinct de la sécurité, et cela lui semblait bien normal, au vu des écarts de taille entre lui et ses prédateurs. Son évolution l’avait amené à se cacher pour mieux se protéger. Et la solitude faisait aussi partie de cette évolution. Le changement, parce qu’il est difficile, devait se vivre seul à un moment donné, pensait le marcheur. Le nomade en permanence confronté à la solitude dans ses difficultés, et ce, même entouré, devait développer des capacités à affronter cette absence pour générer une force solitaire, un courage individuel, une détermination unique pour surpasser les obstacles.
Le moustique blagueur lui avait appris que l’intuition et l’alerte persistante sont le lot
des individus en dehors de leur environnement habituel. La méconnaissance d’un
nouvel espace demande à rester en éveil, à sortir ses capteurs, à
« voir » tout ce qui nous entoure. Dans le mouvement, rien n’est
stable, tout bouge. Tout change, rien n’est acquis, rien n’est prévisible. Dans
le changement, l’angélisme n’est pas de mise. La règle c’est le
« ressort », l’exception, c’est la « roue libre ».
Son ami, le médecin, l’avait bluffé par son nomadisme d’esprit, malgré sa sédentarité géographique ;
solidaire de ses concitoyens, il faisait preuve d’une qualité d’accueil
exemplaire. Il lui avait appris aussi la
simplicité d’être et d’agir : malgré sa science, il pensait d’abord
« simple » et le marcheur se disait que penser simple était un gage
d’humilité : faire simple pour être simple.
L'escargot symbole
même de la lenteur, lui avait permis de prendre conscience des différences de
dimensions spatio-temporelles : un millimètre pour l’un, c’est un
kilomètre pour l’autre, une seconde pour l’un, c’est une année pour l’autre. La
lenteur n’était alors que perception, relativité, énergie. Lorsqu’il marchait,
le marcheur ralentissait son
rythme : il y voyait un intérêt primordial ; voir, sentir, percevoir,
entendre ce qu’il ne voyait pas d’habitude. Il lui semblait qu’en réduisant sa
vitesse, il décompressait l’espace en même temps que le temps. Et cela
produisait des effets de bien-être pour soi et
d’attention au monde qui lui semblaient caractéristiques du mode nomade.
L’internaute, le
cybernaute, avait complété sa vision des qualités des nomades
sédentaires : labyrinther dans un environnement numérique développait
certainement de grandes habiletés à mieux se mouvoir dans le monde moderne. La
fonction crée l’organe, dit-on. Le monde virtuel, l’Internet 2.0, les nouvelles
technologies de l’information offraient aux nomades modernes un espace infini
de recherche d’informations et de partage, un terrain de jeu et d’expression de
leurs propres champs de compétences ou de proposition d’idées pour alimenter la
toile commune d’un tissu global de connaissances, de reconnaissance et de
production de concepts en dehors des circuits habituels, qu’ils soient
politiques, experts, sociaux, économiques ou religieux. Le labyrinthe
préfigurait pour le marcheur les habiletés indispensables pour vivre heureux
dans le monde du XXIème siècle, fait d’incertitudes, de tours et de détours, de
certitudes et de doutes, d’accélérations et de ralentissements. Le labyrinthe,
symbole de perdition, devenait la solution. La complexité, l’incertitude,
l’ampleur des changements que les hommes s’apprêtaient à vivre et le rythme
auquel ils devraient le faire allaient pour eux générer de vraies capacités nouvelles
pour appréhender l’espace, le temps et
l’énergie d’un monde en route vers un avenir qu’il espérait meilleur. Quel beau
tableau du nomadisme lui avaient dépeint toutes ses rencontres
miraculeuses !
Mais il savait que ce n'était pas fini. Mouvement perpétuel impermanence du monde et de ses particules élémentaires, entropie universelle ; tout cela, il le savait, l'emmenait vers une résolution de plus.
Crédit Photo : Le nomade de Plensa http://www.fotocommunity.fr/pc/pc/display/21827370
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